« Manger selon les traditions » : l’alimentation, une longue histoire fondamentale de l’humanité
L’évolution de l’alimentation de l’Homme ne peut être séparée de son évolution biologique qui elle-même est liée à l’évolution de l’environnement où il a vécu. Ainsi environnement, biologie et culture interagissent et évoluent parallèlement. Ce sont des processus lents qui se poursuivent aujourd’hui, dont les connaissances récentes sont liées aux découvertes paléoanthropologiques, archéologiques, en sciences humaines et sociales.
Une première évolution décisive
Dans le berceau africain
L’espèce humaine actuelle est issue d’une longue histoire biologique buissonnante : plusieurs espèces évoluaient et existaient en même temps, certaines disparaissant, d’autres apparaissant, l’homme actuel restant finalement la seule espèce existante de la lignée humaine. Elle a commencé voici 7 millions d’années, en Afrique, après séparation des ancêtres communs avec les grands Primates actuels (gorille, chimpanzé, orang-outang) il y a 8 millions d’années environ.
Les ancêtres de l’Homme, directs et indirects, étaient herbivores, se nourrissant de végétaux issus de la cueillette. Seuls les végétaux pouvaient être prélevés dans le milieu, car ils étaient complètement démunis physiquement pour attraper des proies, par une force musculaire et respiratoire insuffisantes d’où une vitesse de déplacement trop faible, et par l’absence d’organes adaptés pour la chasse, crocs et griffes. Pendant cette phase ont alterné en Afrique des périodes humides, propices à une végétation de forêt, et des périodes sèches, caractérisée par la savane. L’acquisition de la bipédie, vers 6 millions d’années, leur permettait de se déplacer plus facilement sur le sol et de s’aventurer dans la savane, milieu ouvert. Cette bipédie était alors maladroite, à l’exemple de la bipédie des chimpanzés actuels, d’où des déplacements au sol épisodiques et de faible distance. Elle ne leur permettait pas encore de s’affranchir du milieu arboricole où ils se réfugiaient pour se protéger des prédateurs. Puis la bipédie s’étant améliorée, les déplacements sur de plus longues distances à la recherche d’une nourriture plus abondante et diversifiée, devient possible d’où apparition d’une vie nomade. La bipédie a pour conséquence de libérer la main de son rôle locomoteur, d’où transport possible de la nourriture du point de cueillette au point d’habitat, et surtout de fabriquer des outils de pierre taillée, qui définit le début du Paléolithique, à partir de 3,4 millions d’années. De façon concomitante, le dialogue main – cerveau constant a permis le développement de ce dernier.
Le régime omnivore apparaît vers 3,5 millions d’années chez les Australopithèques. D’abord charognard opportuniste, puis volontaire en suivant les prédateurs, consommant des restes de proies de carnivores, l’Homme, apparu il y a 2 ,8 millions d’années, devient chasseur de proies de plus en plus grosses et variées, par l’utilisation d’outils lithiques rudimentaires et variés qu’il fabrique. Par des mécanismes évolutifs, le régime omnivore devient le catalyseur de l’hominisation. La consommation accrue de viande favorise progressivement le développement du cerveau, et ainsi les capacités cognitives. La chasse augmente les capacités sensorielles (la vue et l’ouie). L’appareil digestif devient progressivement adapté au régime omnivore (denture, longueur de l’intestin entre autres) devenant physiologiquement omnivore.
À la conquête de nouveaux territoires : l’Eurasie
Devenu un bipède permanent robuste, permettant les longues marches et la course, l’Homme part à la conquête de l’Eurasie, à l’exception de la Sibérie et des pays scandinaves, il y a 2 millions d’années, en passant par le Proche-Orient et l’Espagne. Aucune intention volontaire de sa part, mais explorant son territoire et ses ressources alimentaires, il s’est aventuré vers de nouvelles frontières, guidé par sa curiosité. D’où exploitation de nouvelles sources de nourriture en fonction du lieu et de son climat. Parallèlement, ses outils lithiques, plus perfectionnés et diversifiés, et variables selon les régions, par amélioration des techniques de taille et l’exploitation de matériaux lithiques disponibles, permettent une meilleure exploitation de l’environnement.
Vers 1,4 million d’années, il utilise le feu de façon ponctuelle à partir de feux naturels qu’il ose approcher. Il y a 500 000 ans, il domestique le feu d’où une production à volonté. Le feu a favorisé sa survie. Source de lumière et de chaleur, qui permettent de s’affranchir de l’obscurité et du froid et d’éloigner les prédateurs, le feu permet de cuire les aliments qui deviennent plus digestes, plus faciles à assimiler, et surtout plus savoureux, source de plaisir. Autour du foyer, les hommes se rassemblent pour consommer les aliments ensemble. L’alimentation qui était un acte purement biologique, devient un acte socio-culturel. De plus, la cuisson tue les microbes qui colonisent les aliments, d’où diminution de la mortalité et expansion de la population humaine.
L’homme moderne, à la conquête du monde
Apparu en Afrique, il y a 300 000 ans, Homo sapiens migre dans le monde entier à partir de 200 000 ans, en passant initialement par le Proche-Orient et l’Espagne. Il colonise progressivement et de façon opportuniste les biotopes les plus divers et s’y adapte. Ses outils sont perfectionnés et adaptés à leurs objectifs d’utilisation, par l’exploitation de matières premières variées : pierre, os, ivoire, bois de cervidés. Des pratiques symboliques, qui se manifestent entre autres par l’art et par l’inhumation des morts, sont les témoins d’une vie socio-culturelle importante. Les cultures régionales apparaissent.
Cette vie socio-culturelle diversifiée n’a pu se faire qu’avec l’acquisition du langage articulé. Phénomène biologique lié à un mécanisme évolutif long par le développement de l’appareil phonatoire, responsable de l’émission des sons, et d’un cerveau suffisamment développé et organisé, d’où le contrôle des sons émis et leur interprétation qui font sens, ces 2 évolutions étant décalées dans le temps. Les prémices du langage seraient apparus vers 1,7 million d’années, en Afrique, à partir de 275 000 ans avant le présent, elle se serait achevée vers 75 000 ans avant le présent. l’acquisition du langage articulé a permis l’explosion des manifestations socio-culturelles et symboliques au Paléolithique supérieur entre 40 000 et 12 000 ans avant le présent, particulièrement abondantes en Europe, du fait de leur découverte.
Depuis l’origine, l’Homme préhistorique est un « animal nu », sans moyen de défense par rapport au milieu hostile qui l’entoure et qui se modifie constamment. Il lui a fallu se libérer des contraintes environnementales pour s’alimenter, par sa capacité d’adaptation et d’innovation constantes. En particulier, la maîtrise du feu a profondément modifié les habitudes alimentaires des premiers hommes, ainsi que l’acquisition du langage articulé, lui ont permis d’évoluer conjointement sur le plan biologique et socio-culturel.